Allons, ne me dites pas qu'il va falloir que je vous conte son histoire ! Si ? Ne connaissez-vous donc pas votre mythologie grecque ? Si, vous la connaissez... Et vous ne vous souvenez pas de Perséphone ? Non. Sots que vous êtes. Car vous vous doutez bien que Saisons tire son nom de là, n'est-ce pas ? Ah. Au moins un peu de bon sens. Laissez-moi vous raconter, en ce cas...

Notre jeune amie est née un matin de printemps, sur ces tendres terres. A sa naissance, on lui donna le doux nom de Pensée. Elle était entourée d'une famille nombreuse, heureuse. Elle connaissait ses parents, ses oncles, ses tantes, même ses grands-parents. Première d'une union fructueuse, entre un mâle lourd et une jeune femelle bicolore, Déméter. Elle était magnifique aux yeux des deux familles unies : pour les pies, elle avait un corps tout rondelet, des crins et des fanons splendides; pour les lourds, elle avait une robe tâchée des plus remarquables.
Après sa naissance, chaque membre de la famille repartit vivre de son côté, elle resta seule avec sa mère. Son père partit, se devant de protéger ses propres parents vieillissants. Elle grandit donc, aux côtés de sa chère mère. On les voyait surtout errer sur les terres réputées les plus belles, celles des Nénuphars. Toutes les rencontres s'accompagnaient de remarques sur la beauté des deux juments, la fille se distinguant souvent de sa mère pour ses crins.

Pensée grandit donc, resta un an avec sa mère. Les deux étaient devenues fusionnelles, elles n'imaginaient pas un instant vivre l'une loin de l'autre. Son père revenait de temps en temps. Un jour, il vient leur rendre visite accompagné de son propre frère, Hadès. L'oncle de la petite Pensée garda longtemps en mémoire la beauté de la jeune demoiselle.
Un jour, il lui parla des narcisses, fleurs qui poussaient en compagnie des coquelicots sur les terres des Chardons. La jeune fut subjuguée par la description qu'il lui en livra, tant et si bien qu'elle demanda quelques jours après l'autorisation d'aller en cueillir quelques-uns à sa mère. Cette dernière la lui donna, rassurée par le fait que l'oncle de sa fille vive sur ces terres. Elle pensait qu'il serait toujours là s'il arrivait quelque chose à sa progéniture. Naïve mère, naïve...

Le soir, Pensée n'était pas reparue. La jeune maman partit donc en quête de son compagnon, et ils partirent à la recherche de leur fille. Durant neuf jour et neuf nuit, aucune trace de la jolie pie. La mère, terrassée, décida de ne plus manger tant qu'on ne lui aurait pas rendu son enfant. C'est alors qu'Hélios, père de son compagnon, vint lui parler. Pensée était retenue par Hadès, son oncle, contre son gré. Il la gardait prisonnière dans ce qu'il considérait comme son lugubre royaume.

Déméter remua ciel et terre pour récupérer Pensée. Mais Hadès, fou amoureux de la jeune jument, ne voulut point la rendre. Il la voulait avec lui, régnant sur son piètre royaume. Déméter s'en remit aux Dieux, dernier recours face à l'acte odieux. Après délibération, ils décidèrent un statu quo entre les deux parents de la douce Pensée : elle passerait les deux mois d'automne et d'hiver en compagnie de son oncle, sur les terres qu'il lui indiquerait; le printemps et l'été seraient égayés par la présence de sa mère, et elle pourrait s'éloigner de l'emprise d'Hadès.

Alors âgée d'à peine 2 ans, la petite demoiselle ne put réfuter l'ordre divin. Elle commença sa première année sur ce rythme instable. Elle n'aimait que peu son oncle, et refusa fermement de lui offrir un enfant. Cependant, elle prenait plaisir à arpenter les terres désolées sur lesquelles il vivait. Les deux mois en compagnie de sa mère passèrent... trop vite. Elle ne voulait pas retourner près de son oncle. Sa mère lui proposa de la couvrir, de la soutenir. Mais la douce craignait la colère des Dieux. Elle obéit, et retourna près d'Hadès.

Après sa deuxième saison chez son oncle, elle ne souhaita pas retourner voir sa mère. Elle savait qu'en la revoyant, elle aurait toujours plus de mal à la quitter pour retourner sur les terres des Chardons. Elle partit donc, seule, sur les Terres des Nénuphars, dans le secret espoir de pouvoir intégrer un Clan, et ainsi y être protégée.
Elle trouva sa place dans le troupeau des Nénuphars, en tant que Marabout. Sa mère lui avait au moins laissé cela : une parfaite connaissance des plantes. Elle n'est pas retournée ni avec son oncle, ni avec sa mère. Elle ne le souhaite pas. Et elle espère qu'ils ne viendront pas la chercher. Elle espère ne pas déchaîner la colère des Dieux en ne respectant pas leurs engagements. Mais elle espère surtout que, en cas de problème, son troupeau la protégera coûte que coûte...